« Le compte est bon, tout le monde est là lieutenant. »
L’officier Orc ferma son œil valide pour acquiescer puis grimpa sur le terrifiant loup qui lui servait de monture. Se rétablissant sur la selle, il jaugea un instant son escouade. Ces guerriers formaient une ligne parfaitement ordonnée, contrastant fortement avec l’aspect sauvage de leur monture. Au milieu des jappements et des grognements des canidés, le lieutenant leva une main imposante et ordonna le départ ; le cortège se mit en route lentement.
Faisant marche vers le nord, ils arrivèrent bientôt vers la lisière tant attendue d’Orneval. Les sables brûlants des Tarides firent place à un tapis de mousse verte et bleue, alors que le lourd soleil disparaissait derrière le dense feuillage des arbres millénaires. Se raclant la gorge d’un bruit immonde, le lieutenant orc lança un crachat vert sur le sol puis éperonna vivement sa monture ; Ils n’étaient plus très loin à présent.
« Là-bas chef !! Sur la route ! »
L’officier posa son regard plus en avant et rugit malgré lui d’horreur. Descendant de sa monture en hâte, il courut vers le groupe de cadavres laissés sur la route. Se penchant sur ce qui semblait bien être des orcs, il reconnut l’insigne des chasseurs d’Orgrimmnar sur les tuniques de cuir des morts.
« Regardez ces marques lieutenant, c’était des bêtes sauvages… »
Plusieurs marques de griffes défiguraient en effet les anciens soldats de la horde. Certains avaient été littéralement déchiquetés par ce qui devait être une bête très imposante…
Lâchant un nouveau crachat sur le sol, le lieutenant tenta de se ressaisir et se dirigea vers sa monture. Ouvrant une des sacoches qui pendait sur le flanc du loup, l’orc sortit une vieille carte poussiéreuse.
- « On a encore une dizaine de kilomètres avant le poste de Bois brisé. Sergent, trouvez nous un coin tranquille, on continuera demain ; je n’aime pas avancer de nuit avec les meurtriers de ces chasseurs encore dans le coin. »
- « Qu’est-ce qui vous fait dire qu’ils sont encore ici ? »
- « Le sang coule encore de leurs plaies, ils viennent de mourir… »
Les orcs s’observèrent un moment, dans un mélange d’inquiétude et de colère, puis suivirent la colonne comme elle se remettait en mouvement.
***
La hache s’enfonça profondément à travers l’écorce, puis valsa en arrière, et repartit plus fort encore ; maniée par les bras du solide orc, la lame abattait peu à peu le vieux chêne. Alors que le sillon de l’outil avait presque fini de séparer l’arbre, le soldat soupira un grand coup, pour reprendre son souffle. Jetant un coup nerveux derrière lui, il hésita un moment puis reprit sa hache en main. S’apprêtant à frapper, il se stoppa net en entendant le murmure qui s’éleva derrière lui. Il lâcha l’outil brusquement, fit volte-face et dégaina le long glaive qui pendait à sa ceinture. Observant les alentours, il s’aperçut qu’un silence soudain était tombé. Un étrange vent caressait doucement sa longue chevelure et provoqua un bruit intense de feuillage au sein du bois. Tournant le regard vers un buisson environnant, il sursauta en apercevant deux éclats d’un jaune terrifiant. Alors que le vent se faisait plus fort, un grondement félin résonna lentement du bosquet…
***
« J’ai envoyé deux hommes en reconnaissance lieutenant, apparemment aucun signe des familiers de nos chasseurs. Et même les loups refusent de s’aventurer hors des sentiers, pas moyen de chercher plus profondément. »
L’officier soupira, remercia son aide de camp d’un geste puis retourna près du maigre feu. Tendant les mains vers les flammes vacillantes, il grommela ce qui semblait vouloir dire « Maudite forêt ». Pensant à cette nouvelle affectation qui l’attendait à Chanteguerre, il se perdit en soupir dans sa mauvaise humeur coutumière. Levant les yeux vers un orc à l’extrémité du campement, il s’interrogea sur la mine nerveuse du soldat. S’approchant de celui-ci, il fronça les sourcils d’inquiétude lorsque le guerrier courut vers lui.
« Baldurf et Galbrun ne sont toujours pas revenus Chef, ils étaient allés chercher de quoi manger. »
Le lieutenant n’eut pas le temps de répondre qu’un cri d’agonie résonna dans la forêt. Dégainant d’un réflexe sa claymore, l’officier se précipita à l’autre bout du camp, d’où venait le hurlement. Rugissant de colère devant le nouveau cadavre qui traînait au sol désarticulé, il se retourna pour s’adresser à ses hommes.
« Rassemblement, on continue à Bois brisé ! »
Un orc un peu fluet se précipita alors vers lui et entre deux halètements :
« Les loups ont disparus chef, pas moyen de les retrouver ! »
Cédant à la rage, le lieutenant envoya un puissant coup de poing au visage du soldat puis fit volte-face pour s’enfoncer dans les ténèbres de la forêt. Il courut rapidement, rassuré d’entendre les bruits de pas rapides derrière lui. Enjambant agilement un tronc couché, il sauta par-dessus un tas de branches avant de continuer sa course entre les bosquets.
Il finit par s’arrêter, essoufflé. S’appuyant sur son imposante épée, il haleta quelques secondes de son souffle bestial.
« Allez soldat, on y… »
Il resta muet un moment en constatant l’absence des hommes derrière lui. Il aurait pourtant juré les avoir entendu sur ses talons, quels étaient alors ces bruits de pas ? Une série de cris inhumains vint le sortir de sa torpeur. Dans un réflexe de vieux vétéran, il empoigna solidement sa claymore et s’appuya solidement sur sa jambe droite, près au combat. Un silence irréel retomba soudain sur la sombre forêt d’Orneval.
Essayant de calmer sa respiration rapide et rauque, l’orc tourna sur lui-même, tentant de prévenir toute menace. Alors un murmure étrange s’éleva autour de lui. Cela semblait être un chuchotement, un bruit furtif qui entrait à peine au creux de son oreille. Il leva les yeux et, bien qu’il ne sentit alors aucun vent, aucune brise, il vit les arbres remuer lentement.
Il se perdit alors dans une torpeur étrange, alors que des voix langoureuses et douces le berçaient.
Il sembla entendre alors quelques phrases dans une langue qu’il ne connaissait pas. Les mots « Andu falah dor » se répétèrent longuement, mais le ton des voix changea doucement, devenant soudain agressif. Les mots résonnaient toujours plus fort dans sa tête, si fort qu’il commença à perdre pied sur le sol mousseux de la forêt ; les voix disparurent d’un seul coup, et une seule autre résonna alors, d’une fureur terrifiante :
« Tor ilisar'thera'nal! »
L’orc hurla de douleur alors qu’une patte griffue lui lacérait le dos, brisant son échine et le plantant à genoux. Il tenta de se relever mais il ne sentait plus ses jambes. Entre sa respiration saccadée, il entendit un grondement d’animal à coté de lui. Tournant la tête, il aperçut un félin noir comme la nuit, dont les yeux luisaient comme deux soleils. Il tendit lentement la main vers sa claymore…
Le félin s’agita alors, et dans un spasme étrange, il s’éleva soudain, perdant sa fourrure et prenant une forme humanoïde. Au fauve, succéda une elfe à la peau claire, habillée dans une armure de cuir noir menaçante. Ses yeux blancs et scintillants comme deux lunes observèrent l’orc avec une expression d’amusement et de mépris. Elle tendit lentement une maigre main et sembla prononcer quelques paroles secrètes de sa langue oubliée. Des racines sortirent soudain du sol et enserrèrent les poignets de l’imposant orc, l’immobilisant loin de son arme tombée. L’elfe, toujours amusée, s’approcha lentement, mit un genou à terre et dégaina rapidement un poignard à lame noire de sa ceinture. Elle sourit à l’orc, fit jouer la lame sur le torse musclé de sa proie.
Son visage se renfrogna subitement et le poignard s’enfonça d’un geste précis dans le cœur du vieux lieutenant alors que les bois s’agitaient dans une rafale de vent subite. L’orc s’écroula sans bruit, amorti par la mousse touffue et dense de la forêt d’Orneval.
Dans la douce nuit d’automne, un agile félin noir s’agita entre les arbres millénaires, repartant pour une chasse qui ne semblait pas près de finir…